La Meinau est retenue dans les douze stades sélectionnés. La France, étonnamment, a obtenu l'organisation de l'Euro 2016 et les pouvoirs publics locaux ont décidé de rebâtir l'enceinte historique du Racing. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Avant de s'attaquer au vif de ce sujet pour le moins complexe, une courte et rapide rétrospective des évènements récents s'impose.
L'Eurostadium ou l'Optimisme
C’est au Parlement Européen que le Président du RCS présente en juin 2009 le projet du stade qui doit accueillir le Racing, si tout va bien, à partir de 2013. L'Eurostadium, stade à la pointe de la technologie, doit devenir l'outil indispensable à la pérennité du club au haut niveau, ainsi que le sésame de la ville de Strasbourg quant à l'obtention de l'Euro 2016.
Depuis, les choses ont bien changé. Exit la multitude d'innovations envisagées: le musée du club, le centre de loisirs « Racing Indoor », les écrans géants interactifs... Dès juillet, les choses sont claires, le projet pharaonique de Philippe Ginestet, estimé à 250M€, ne doit jamais voir le jour. En effet, le géant britannique de l'immobilier Hammerson chargé de financer en grande partie le projet, confronté à la crise financière, renonce à l'Eurostadium de 42 000 places et sa zone commerciale / de loisirs, de 90 000 m², à Eckbolsheim.
Une page se tourne pour le président du Racing, mais pas pour les élus locaux qui s'accrochent à l'idée de recevoir l'Euro à Strasbourg. Le maire Roland Ries et Jacques Bigot, président de la CUS, dévoilent bientôt leur «Plan B». Il s'agit ni plus ni moins d'une rénovation ou plutôt reconstruction de l'actuel stade de la Meinau.
A cette période, les autorités locales sont réellement enthousiastes. Elles multiplient les manifestations en faveur de l'Euro et du football en général, et les gestes de bonne volonté. Bref, tout est fait pour convaincre les émissaires de la FFF et l'UEFA venus visiter les installations strasbourgeoises, et c'est mission réussie puisque la capitale alsacienne est retenue parmi les douze villes présélectionnées en vue de la candidature française.
Néanmoins, au moment de passer du théorique au pratique, les choses vont rapidement se compliquer.
Le Léviathan strasbourgeois : un projet démesuré ?
Démesuré, car ce projet envisage la réhabilitation d'un stade, bâti en 1914 sur un emplacement désormais très urbanisé. Il consiste, tout de même, à passer de 24.000 à 36.000 places d'ici 2014... et rencontre rapidement des difficultés.
Si l'on suit rigoureusement le calendrier de la mise en travaux, la procédure des appels d'offre s'est achevée le 16 mars, date limite de dépôt des candidatures. Les dossiers des candidats à la réalisation des travaux sont donc actuellement sur le bureau des pouvoirs adjudicateurs, c'est à dire ici les collectivités locales. Puisqu'il s'agit d'un marché public, celles-ci doivent donc établir leurs préférences en fonction de critères très précis prévus par le code des marchés publics.
Selon la procédure envisagée, le stade entre en chantier à l'été 2012, pour trente et un mois. La tribune nord est la première à être reconstruite. Puis c'est au tour des tribunes Ouest, Sud et Est. Selon le dossier remis à la Fédération française de football par la ville, « l'ancien stade et son gradinage [N.d.A. : les gradins, en jargon fédéral] sont conservés sans altération de la structure existante en raison des qualités intrinsèques de cette dernière et de son état de conservation très satisfaisant ». Un nouvel anneau coiffé d'un toit sera alors construit. « L'extension neuve est donc conçue comme un ouvrage indépendant qui ceinture l'existant ».
La tribune sud est la plus réaménagée. Elle accueille le grand public, les VIP, les loges et les médias. « Les interventions les plus significatives sur la structure sont la suppression de quatre rangs de gradins. (...) L'ancienne fosse est supprimée et remplacée par une série de gradins neufs inscrite dans la continuité du gradinage existant sur toute la périphérie du stade ».
Parmi les aménagements extérieurs, le dossier prévoit un grand parvis reliant la route de Colmar à l'entrée du stade. Le cours du Krimmeri est dès lors détourné. « Le dévoiement est rendu obligatoire par l'extension des gradins, il s'effectue hors de l'enceinte sportive. Le nouveau tracé du cours d'eau épouse les limites Est et Sud de l'enceinte sportive».
La difficulté majeure résulte justement de l'ampleur des travaux escomptés. Nous sommes bien loin des simples modernisations de 2000 et 2001.
A titre d'exemple, les fondations du stade n'ont pas réellement été prévues pour accueillir un étage supplémentaire. Des études qui ont été effectuées à ce stade montrent qu'a priori, en remplissant les fosses de béton armé, et en liaisonnant ce bloc aux fondations existantes qui sont à proximité, les surcharges engendrées en périphérie du terrain seraient équilibrées. Mais cela ne concerne, environ, que 60-70% des fondations. Les fondations sous les tribunes devront quant à elles être renforcées.
Cependant - plus contraignant peut-être que les fondations - les poutres crémaillères n'ont pas forcément été dimensionnées pour accueillir un étage supplémentaire.
Des travaux colossaux sont donc à réaliser à l'intérieur comme à l'extérieur du stade. Le détournement d'une rivière comme le Krimmeri en zone urbaine ou la construction d'une immense esplanade reliant l'enceinte sportive à la route de Colmar seraient des entreprises extrêmement onéreuses, ce qui ne va pas sans soulever des doutes dans la sphère politique.
Du contrat social: La récurrente problématique du contribuable innocent
Face au coût exorbitant et prohibitif des travaux, les pouvoirs publics locaux, esseulés, revoient rapidement revoir leur position, au point de remettre en cause la totalité du projet.
Les Confessions des élus
Il est désormais bien loin le temps lorsque en juillet 2009, mise aux voix au conseil municipal de Strasbourg, la rénovation du stade de la Meinau et la candidature à l'organisation de l'Euro 2016 étaient approuvées à l'unanimité. Désormais, Roland Ries doit jouer d'équilibres délicats en interne.
Dès l'hiver 2009, en pleine déroute du Racing, la droite prend ses distances et n'est finalement plus guère favorable à la candidature de Strasbourg à l'Euro, avançant le coût du projet (entre 160 et 200M € tout compris). Le contrat imposé par l'UEFA n'y est pas pour rien. Il prévoit en effet des coûts majoritairement à la charge des villes alors que les bénéfices directs sont reversés en partie à l'organisation européenne. De cette manière, Yves Bur, député-maire de Lingolsheim et André Stoeffler, maire de Holtzheim, siégeant à la CUS, s'opposent ouvertement au projet.
Le premier cité tire à boulets rouges sur le tandem socialiste en place: "Compte-tenu du contexte nouveau créé par la médiocrité des dirigeants de ce club professionnel, compte tenu du fait que le football professionnel est avant tout une affaire d’argent et d’intérêts financiers (...). Allez-vous continuer à vous entêter à sacrifier au minimum 160M €, et très certainement plutôt 200M €, sur l’autel du dieu football ?" Avant de demander explicitement "le gel du projet de reconstruction de la Meinau".
Que l'opposition ait profité de l'opportunité pour faire front face au maire socialiste, sur un sujet sensible, n'est guère surprenant en soi. Mais l'élu strasbourgeois est également confronté à un nombre croissant de voix divergentes dans son propre camp. Ainsi les Verts, alliés de premier plan, qui sont habitués à supporter les grands ouvrages d'aménagement urbain ont pour le moment préféré s'abstenir. Même au cœur du groupe socialiste, certains élus ont exprimé leur mécontentement, ceux-ci refusant que l'on "dilapide l'argent du contribuable".
Hasard ou non, c'est une mairie socialiste, celle de Catherine Trautmann, qui refusa la rénovation de la Meinau et la réception de la Coupe du monde 1998, en raison des coûts, et ce en dépit des aides de l'Etat et du Comité d'organisation.
Une situation très délicate donc pour le tandem Bigot-Ries qui, à mi-mandat, risque de se mettre à dos une partie de l'électorat, quelle que soit la position prise.
Roland et Jacques, les Fatalistes: un obstacle économique infranchissable
Selon les estimations, le montant des travaux de reconstruction s'élève donc approximativement à 160M €. Aucun partenariat public-privé n'a été trouvé pour le moment, seul l'Etat s'est déclaré à l'heure actuelle partie prenante du financement du projet, mais uniquement à hauteur de 16M €, seulement 10 % du total.
A titre d'indice, la mairie de Strasbourg dispose pour 2010 d'un budget d'investissement de l'ordre de 112,3M €, tandis que la CUS disposait elle, pour 2008, de 240M €. Sans aide supplémentaire, on peut ainsi aisément comprendre que l'engagement de telles finances paraît insurmontable. « Si nous ne sommes pas aidés, nous ne pourrons pas y arriver » soutient Ries ; "L'Etat nous accorde 16M €, ce qui veut dire que le solde de 144M € sera à la charge de la mairie et de la communauté urbaine".
De plus, les collectivités locales ne peuvent guère compter sur le Racing, locataire de la Meinau, lui aussi dans la tourmente. "Les autres villes ont des clubs sur lesquels elles peuvent compter, ce n’est pas notre cas. En National, le club ne pourra même pas payer la location du stade (450 000 €)", affirme Ries.
En outre, avec un passage devant la DNCG dont le résultat du délibéré reste plus qu'incertain, même une nouvelle rétrogradation du club est à envisager. On peut comprendre la prudence des autorités strasbourgeoises.
La seule véritable voie de salut serait l'Etat, comme l'a déclaré Jacques Bigot. "Si on arrive à trouver au moins 60% de cette somme, on sera satisfait. À 50%, on tousse et en dessous, on est malade". Mais, il semble en réalité peu probable que l'Etat accepte de porter sa contribution à près de... 80M €.
En derniers recours, le tandem strasbourgeois s'est tourné vers les ultimes possibilités de financement : les collectivités (Région, Département...), et le football professionnel, notamment à travers les recettes des droits télés. Pas sûr que cela suffise.
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